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Publié le 10 septembre 2025 à 09:04

Afin de ne pas être encore plus bête qu’un mollusque

Préambule

Le mollusque, au moins, développe une carapace pour se prémunir d’un environnement hostile. Il s’auto-organise pour vivre peinard dans sa coquille et grossir au gré des vagues, en s’alimentant de plancton microscopique. La bête développe une stratégie ! Ce n’est pas totalement idiot, un mollusque ! Il sait, dans son intimité, qu’il existe de l’altérité qui ne lui veut pas forcément du bien ; son corps s’organise en conséquence. Il ne fuit pas ses responsabilités d’être vivant en se remettant entièrement entre les mains de l’intelligence du grand Tout marin : celui-ci n’est pas forcément bienveillant, car dans le plancton se cachent parfois du plastique ou des traces d’hydrocarbures.

Il en est autrement pour l’homme, visiblement, qui prend le chemin d’être encore plus con qu’un mollusque : il brûle d’envie de s’en remettre entièrement à l’Intelligence Artificielle, de confier sa vie, ses compétences, sa créativité, son intelligence au Grand Tout googlisé.
Que lui restera-t-il ? Rien. Il veut écrire ? Tss ! La machine écrit mieux que lui. Il veut danser ? Les robots seront plus performants. Il veut baiser ? Qu’il aille dans les bordels 3D avec combinaison sensorielle : il y trouvera des femmes (ou des hommes) plus belles (ou plus beaux) qu’il (ou qu’elle) ne puisse jamais l’imaginer, et jouira au moins quatre fois parce que la machine aura l’art de stimuler son périnée. Autrement dit, il pourra, à tout point de vue, se passer des autres… Ces sales autres qui font de sa vie un enfer, parce qu’ils sont des alter ego contrarients, des miroirs agaçants : ils désirent comme lui, le jalousent, l’imitent, veulent lui faire la guerre…

Ah, les zôtres, qu’est-ce qu’ils m’emmerdent ! Alors autant poser une interface entre eux et moi – l’écran – jusque dans la guerre. À ce titre, je leur envoie des milliers de drones qui leur explosent à la gueule, et je me délecte en contemplant leur face terrorisée sur mon écran de PC.

Vive la machine et l’intelligence artificielle ! Ainsi nous pourrons nous autoriser à être plus cons que des mollusques, et mépriser les ZÔTREs pour n’avoir avec eux que des écrans plus solides qu’une coquille.


Ci-après :

Pour les quelques rares (et je pense qu’ils sont de plus en plus rares, ces dingues absolus !)

  1. qui ont l’audace d’écrire sans ChatGPT, parce que leur poésie – et les imperfections de leur poésie – en disent plus sur leur sensibilité singulière que la centaine de quatrains parfaits obtenus en un millième de seconde par une machine dénuée de toute sensibilité, et qui, comble du ridicule, ne sait même pas ce qu’elle fait,

  2. que les danseurs qui n’ont pas peur de faire le saut de l’ange (même s’ils trébuchent, ils auront l’audace de recommencer, les dingues !), parce que cela dit bien plus de leur corps et de son envol que le saut le plus parfait d’un cyborg,

  3. que les peintres, sculpteurs et plasticiens de tout poil qui n’ont pas peur de la matière, la prennent à pleines mains, y mettent de la sueur et du sang, parce que cela dit bien plus de ce qu’ils s’autorisent à dire du monde et de la vie en tant qu’hommes ou femmes que la copie numérisée en deux ou trois dimensions de n’importe quelle œuvre,

  4. et surtout pour tout artiste qui n’est pas jaloux mais se laisse emporter par l’émulation de vouloir faire au moins aussi bien que ses maîtres, en qui il reconnaît un visage et une humanité, mais qui n’en a strictement rien à foutre de la machine qui le nargue, car il n’entend pas le ricanement de tous ces refoulés d’encodeurs,

Je les invite à signer le Pacte du Mollusque.


C’est-à-dire :

ARTICLE 1

Tout comme le dernier des mollusques, je me défends du Grand Tout qui m’entoure en usant de barrières de protection suffisamment souples, à la fois ouvertes (afin de me nourrir pour une transformation ultérieure) et fermées pour ne pas être pollué ni volé dans ma créativité.

ARTICLE 2

Je prête foi en ma vie et non à ceux qui veulent me la voler, me dominer, me numériser, car tout comme le mollusque, le corps qui s’organise résiste au grand Tout marin qui le submerge.

ARTICLE 3

Je refuse obstinément de me laisser phagocyter par le grand Tout numérique qui me découragerait d’écrire, danser, chanter et créer. À tout le moins, j’utilise avec parcimonie les nouveaux outils, seulement pour accélérer le processus créatif.

Pour ce faire :
3.1. J’utilise de moins en moins mon GPS, afin de maintenir autant que possible ma mémoire visuelle.
3.2. Je fais mes phrases tout seul, quitte à les faire corriger, mais en ayant l’intelligence de me rappeler ensuite les règles orthographiques (parfois délicieusement absurdes) qui ont présidé à la correction appliquée aveuglément par l’IA (et nous ne sommes pas aveugles !).
3.3. Je m’abstiens d’exposer mes perles et trouvailles sur la Toile, et j’invite plutôt, anonymement, tout curieux à venir me rencontrer en tête à tête pour les découvrir autour d’un café (ou d’un whisky).
3.4. Je m’allie avec mes pairs, trop heureux de trouver des semblables humains qui partagent de visage à visage (et non d’écran à écran) leur savoir-faire, leur création, leur amour et leur dégoût, dans une conversation amicale et sempiternelle (copieusement arrosée de vins délicats), afin de nous faire une petite idée de ce qu’est l’humanité résistante à l’anonymat des algorithmes.
3.5. Je lis au moins un poème par semaine – et je le lis VRAIMENT – en tentant d’en saisir le sens latent tout en jouissant de ses rimes, sons et scansions. J’essaie d’en apprendre un par cœur une fois par mois.

ARTICLE 4

Je reconnais que c’est de la faille que naît l’imperfection, et que celle-ci manifeste la part inconsciente de la création. Il s’agit donc d’un désir humain qui déborde la normalisation machinale. L’imperfection met l’artiste au travail, le pousse à transformer sans cesse ce qu’il produit, car rien n’est jamais parfaitement dit pour lui, et cela l’incite à en dire davantage, plus haut et plus profond.

ARTICLE 4 BIS

Je rejette avec véhémence l’idée selon laquelle le grand Tout numérique comblerait définitivement toute faille et toute imperfection, même s’il nous fait croire le contraire en nous invitant à nous reposer sur nos lauriers factices de glandeurs satisfaits. Cela au risque de détruire l’être humain, de le néantiser.

ARTICLE 5

J’évite les salauds qui n’ont d’autre objectif que de tuer le créateur dont ils sont jaloux, et qui passent leur temps à se moquer de l’humain dans ce qu’il a de fragile, mortel et imparfait.

ARTICLE 5 BIS

Je me moque et ridiculise ceux-là mêmes qui nous invitent à croire en leur nouveau credo :

  1. la terraformation de la planète Mars,

  2. la vie sempiternellement prolongée (qu’ils maquillent en « vie éternelle » pour dézinguer toutes les religions du monde),

  3. la possibilité d’un corps humain « augmenté ».

a) Il nous paraît plus évident de pacifier la Terre avant de la rendre aussi invivable que Mars.
b) Nous rejetons ce rêve (ou cauchemar) de multimilliardaires qui ont déjà tout et qui veulent la vie éternelle par surcroît (parce qu’ils ont peur, les bougres !).
c) Enfin, il serait intéressant de dialoguer sur la nature de l’homme avant d’augmenter la puissance et la résilience de son corps, avec pour question subsidiaire : l’être humain mérite-t-il un avenir ?

ARTICLE 6

Je fais naître des îlots clandestins de joie, de création et de résistance.